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Publié le 30 janvier 2017 par Jean-Luc Soulier

Réforme du droit des contrats : le code civil victime de l’air du temps ?

Beaucoup a déjà été écrit sur la réforme du droit des contrats entrée en vigueur le 1er  octobre 2016. Certains auteurs ont dénoncé la substitution de concepts précis et définis par la jurisprudence par des notions floues et incertaines. Un auteur en particulier a caractérisé l’inspiration de  ces nouvelles dispositions de « socialisme tempéré. »

Plusieurs centaines d’articles du code civil ont été entièrement réécrits en catimini à l’issue d’une consultation publique quasi-inexistante. Les restes de l’ancien Code Napoléon  ont-t-ils été victimes de l’air du temps ?

 

Beaucoup a déjà été écrit sur la réforme du droit des contrats entrée en vigueur le 1er octobre 2016.

Les articles déjà publiés dans notre e-newsletter mensuelle donnent un faible aperçu des domaines touchés par cette réécriture complète du droit des contrats et obligations[1].

Depuis sa promulgation  en  1804, le code Napoléon a inspiré les codes civils de pays du monde entier : la plupart des pays européens et des pays d’Afrique du Nord et d’Afrique Noire francophone, bien sûr, mais aussi de pays aussi inattendus que la Turquie, le Japon, le Brésil ou l’Iran parmi beaucoup d’autres !

Il a donc valeur de monument historique au même titre que le Louvre ou la tour Eiffel.

Au début des années 2000, près de la moitié des articles du code Napoléon traitant des biens et des contrats et obligations figuraient encore dans notre code civil français.

Plusieurs centaines d’articles ont été entièrement réécrits en catimini par une simple ordonnance à l’issue d’une consultation publique quasiment inexistante (seulement deux mois entre mars et avril 2015) et sans débat parlementaire.

Il s’agit d’un bouleversement majeur. Un peu comme si on décidait de modifier l’apparence de la tour Eiffel (pour le Louvre, c’est déjà fait avec la pyramide de Pei).

Ces nouvelles dispositions traitent du régime des obligations en général et constituent le droit commun applicable à tous les types de contrats et d’obligations de nature civile ou commerciale.

Notre cabinet a co-organisé récemment à Lyon un réunion pratique d’information sur l’impact du nouveau droit des contrats et des obligations sur la négociation et la rédaction des contrats commerciaux d’achat et de vente de produits et de services[2].

Cette réunion pratique a été l’occasion de nous interroger sur l’inspiration des principales innovations de l’ordonnance du 10 février 2016[3].

  • Une obligation de bonne foi renforcée

Aux termes des dispositions de l’ancien article 1134 al. 3, les conventions devaient être exécutées de bonne foi.

Aucune disposition ancienne ne traitait de la phase de la négociation, et rien, en dehors des dispositions relatives aux vices du consentement (erreur, violence et dol), ne venait limiter le principe de la liberté contractuelle en droit commun des contrats.

 

Désormais, aux termes du nouvel article 1104 du code civil, les contrats doivent être non seulement exécutés, mais également négociés et formés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public.

  • Un devoir d’information

Le nouvel article 1112-1 instaure un devoir d’information dans les négociations pré contractuelles qui ne peut être ni limité ni exclu.

La dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie est à présent qualifiée de dol (au même titre que des manœuvres et des mensonges).

L’erreur qui résulte d’un dol est une cause de nullité du contrat même si elle porte sur la valeur de la prestation.

  • La sanction de l’abus de dépendance

L’abus de dépendance (pas simplement économique) afin d’obtenir un engagement de son cocontractant est désormais qualifié de violence. L’abus de dépendance fait ainsi son entrée dans le droit commun des contrats et des obligations.

  • La sanction des clauses abusives dans les contrats d’adhésion

La sanction des clauses abusives dans les contrats d’adhésion ­­- dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties  –   relevait auparavant uniquement de législations spéciales afin de protéger une partie en position de faiblesse (notamment en droit de la  consommation pour protéger le non-professionnel et le consommateur).

Elle est désormais consacrée en droit commun par le nouvel article 1171 qui répute non écrite toute clause d’un contrat d’adhésion qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

  • Obligation de motivation du prix dans les contrats-cadre

Si le nouvel article 1164 consacre la détermination unilatérale du prix dans les contrats-cadre, une obligation de motivation pèse désormais sur le cocontractant qui fixe unilatéralement le prix.

  • Pouvoir de révision du juge en cas d’imprévision

Depuis plus de 150 ans, la Cour de cassation refusait la révision par le juge d’un contrat pour imprévision.

Le nouvel article 1195 donne à présent ce pouvoir au juge si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’a pas accepté d’en assumer le risque. Difficile d’imaginer une définition plus vague.

Cet inventaire non exhaustif montre que le nouveau droit français des contrats a été inspiré par l’air du temps : la protection du faible et la religion de la transparence. A l’inverse de la philosophie anglo-saxonne, qui impose simplement le respect de règles éthiques permettant à la concurrence de s’exercer librement.

C’est un peu le vieux débat entre l’égalité, qui n’admet pas les forts, et l’égalité des chances, qui permet au petit d’espérer manger un jour le gros.

Un auteur a parlé, pour caractériser l’inspiration de ces nouvelles dispositions, de « socialisme tempéré. »

Selon l’expression consacrée, « l’enfer est pavé de bonnes intentions ».

Certains auteurs ont dénoncé la substitution de concepts précis et définis par la jurisprudence par des notions floues et incertaines.

D’autres se sont inquiétés de l’articulation imparfaite entre ce nouveau droit commun des contrats et certains droits spéciaux figurant dans le code de commerce, le code de la consommation, et même le code du travail. Cumul ou non cumul ?

Si le caractère impératif (d’ordre public) ou supplétif de certaines dispositions nouvelles ne fait pas débat, le doute existe pour d’autres.

Le juge aura un rôle accru pour faire respecter les principes nouveaux dégagés par la réforme : selon les cas, il pourra condamner à des dommages et intérêts, résoudre ou résilier le contrat, constater sa caducité, ou prononcer sa nullité. Il pourra même dans certains cas en modifier le contenu.

Le juge abusera-t-il de ce rôle accru ? Quelle place restera à la liberté contractuelle ?  Comment ce nouveau droit français des contrats sera-t-il perçu par les partenaires étrangers de nos entreprises françaises ?

Autant de questions auxquelles il est aujourd’hui très difficile de répondre.

 

[1] https://www.soulier-avocats.com/blog/ordonnance-du-10-fevrier-2016-portant-reforme-du-droit-des-contrats-le-principe-de-la-force-obligatoire-du-contrat-battu-en-breche-par-les-nouvelles-dispositions-du-code-civil/

https://www.soulier-avocats.com/blog/representation-groupes-de-societes-a-lepreuve-nouveau-droit-contrats/

https://www.soulier-avocats.com/blog/entree-vigueur-1er-octobre-2016-de-reforme-droit-obligations-nouveautes-ont-retenu-attention/

https://www.soulier-avocats.com/blog/reforme-droit-contrats-repercussions-pratiques-contractuelles-matiere-de-distribution/

https://www.soulier-avocats.com/blog/droit-fusions-acquisitions-a-laune-de-reforme-droit-contrats/

[2] Vous pouvez consulter les présentations Powerpoint remises aux participants à l’adresse suivante : https://www.soulier-avocats.com/wp-content/uploads/prev/2017/01/Présentation-Soulier-réforme-droit-des-contrats-10-01-17-VDEF.pdf

[3] Les principales innovations de l’ordonnance du 10 février 2016 sont détaillées dans notre présentation Power point disponible à l’adresse suivante : https://www.soulier-avocats.com/wp-content/uploads/prev/2017/01/Présentation-Soulier-réforme-droit-des-contrats-10-01-17-VDEF.pdf