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Publié le 1 janvier 2013 par Soulier Avocats

Un accord anticoncurrentiel même d’importance mineure peut etre sanctionné en France

Interrogée par voie de question préjudicielle sur la portée de la communication dite « de minimis » de la Commission européenne, la Cour de justice de l’Union européenne a récemment précisé qu’une autorité nationale de concurrence pouvait valablement appliquer l’article 81, paragraphe 1, à un accord n’atteignant pas les seuils de part de marché fixés par la Commission, dès lors que cet accord constituait une restriction sensible de la concurrence.

1. Rappels sur la règlementation communautaire applicable en matière d’interdiction d’accords anticoncurrentiels et sur la « communication de minimis » de la Commission européenne

Aux termes de l’article 81, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne (désormais article 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)), sont interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le  jeu de la concurrence dans le marché intérieur.

Toutefois, il est de jurisprudence constante qu’un accord d’entreprises échappe à la prohibition de cette disposition lorsqu’il n’affecte le marché que d’une manière insignifiante[1].

La Commission a publié, au cours de l’année 2001, une communication concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne (communication dite « de minimis »)[2].

Dans cette communication, la Cour de Justice considère que les dispositions de l’article 81, paragraphe 1, du traité CE ne sont pas applicables lorsque l’incidence de l’accord sur les échanges au sein de l’Union européenne (UE) ou sur la concurrence n’est pas sensible.

La Commission européenne définit, au moyen de seuils de marché, ce qui ne constitue pas une restriction sensible de la concurrence au sens de l’article 81 du traité CE.

Ainsi, le seuil de sécurité instauré par la communication « de minimis » s’applique aux accords entre concurrents existants ou potentiels (accords horizontaux) pour autant que leur part de marché cumulée ne dépasse pas 10 %. Pour les accords entre non-concurrents (accords verticaux), la part de marché de chacune des parties ne devrait pas excéder 15 %. En ce qui concerne les marchés avec effet cumulatif des réseaux parallèles d’accords ayant des effets similaires, ces seuils de part de marché sont abaissés à 5 %.

La Commission précise que cette définition par défaut du caractère sensible ne signifie pas que les accords conclus entre des entreprises dépassant les seuils indiqués dans la communication, restreindraient nécessairement le jeu de la concurrence de manière sensible.

Elle indique aussi que, bien qu’étant dépourvue de force contraignante à leur égard, la communication « de minimis » a pour but de donner des indications aux juridictions et autorités des États membres pour l’application de l’article 81 du traite CE.

2.  Rappel de la règlementation française applicable en matière d’interdiction d’accords anticoncurrentiels

En droit interne, sont prohibées par l’article L. 420-1 du Code de commerce les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions ayant pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausse le jeu de la concurrence sur un marché.

En outre, en vertu de l’article L. 464-6-1 du Code de commerce, l’Autorité de la concurrence peut décider de ne pas poursuivre la procédure, lorsque les pratiques mentionnées à l’article L. 420-1 précité ne dépassent pas certains seuils – ces derniers étant identiques à ceux fixés dans la communication « de minimis ». Toutefois, cette dérogation n’est pas applicable si lesdites pratiques contiennent l’une des restrictions caractérisées de concurrence listées à l’article L. 464-6-2 du même code[3].

3.  L’application combinée des règles de concurrence nationales et communautaires par les autorités des Etats membre

En vertu de l’article 3 du règlement communautaire 1/2003 du 16 décembre 2002, les autorités nationales, lorsqu’elles appliquent le droit interne interdisant les accords anticoncurrentiels susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres au sens de l’article 81, paragraphe 1, du traité CE, ont l’obligation d’appliquer également, en parallèle, ledit article 81.

En outre, les autorités nationales ne peuvent faire application du droit national de concurrence et interdire des ententes, si celles-ci n’ont pas pour effet de restreindre la concurrence dans le marché intérieur au sens de l’article 81,  paragraphe 1, du traité CE.

4.  Le litige au principal et la question préjudicielle posée à la Cour de justice de l’Union Européenne

Dans le présent litige, la SNCF avait créé avec Expedia, société américaine spécialisée dans la vente de voyages sur Internet, une filiale commune dénommée Agence de voyages SNCF.com (« Agence VSC »).

Par décision du 5 février 2009, l’Autorité de la concurrence a considéré que le partenariat entre la SNCF et Expedia constituait une entente contraire aux articles 81 du traité CE et L. 420-1 du code de commerce, ayant pour objet et pour effet de favoriser cette filiale commune sur le marché des services d’agence de voyages fournis pour les voyages de loisirs au détriment des concurrents. Elle a infligé des sanctions pécuniaires tant à Expedia qu’à la SNCF.

L’Autorité de la concurrence a notamment estimé qu’Expedia et la SNCF étaient concurrentes sur le marché des services en ligne d’agences de voyages de loisirs, qu’elles détenaient plus de 10 % des parts de ce marché et que, par conséquent, la règle «de minimis», telle qu’énoncée dans la communication de la Commission, ainsi qu’à l’article L. 464-6-2 du code de commerce précité, ne trouvait pas à s’appliquer.

Saisie du pourvoi formé par Expedia contre l’arrêt confirmatif de la Cour d’appel de Paris, la Cour de cassation a relevé que s’il n’était pas contesté que l’entente en cause au principal ait un objet anticoncurrentiel, il n’était pas établi que la Commission poursuivrait une telle entente dans l’hypothèse où les parts des marchés concernés ne dépasseraient pas les seuils fixés dans la communication « de minimis».

La Cour de cassation a estimé qu’il existait un doute sur le point de savoir si les seuils de part de marché institués par cette communication constituaient une présomption irréfragable d’absence d’effet sensible sur la concurrence.

Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l’Union Européenne (« CJUE »)  la question préjudicielle suivante:

« Les articles 101, paragraphe 1, TFUE et 3, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une pratique d’accords, de décisions d’associations d’entreprises, ou de concertation qui est susceptible d’affecter le commerce entre États membres, mais qui n’atteint pas les seuils fixés par la Commission européenne dans sa communication [de minimis], soit poursuivie et sanctionnée par une autorité nationale de concurrence sur le double fondement de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et du droit national de la concurrence ? ».

5.  La position de la CJUE

Dans la décision étudiée[4], la CJUE observe que :

  • La communication « de minimis », comme elle l’indique elle-même, vise à exposer, de manière indicative, la manière dont la Commission, agissant en tant qu’autorité de la concurrence de l’Union, appliquera l’article 81 du traité CE (101 TFUE), mais n’a pas vocation à lier les autorités de concurrence et les juridictions des États membres ;
  • En conséquence, afin de déterminer le caractère sensible ou non d’une restriction du jeu de la concurrence, l’autorité de concurrence d’un Etat membre peut prendre en considération les seuils établis dans la communication « de minimis » sans pour autant être obligée de s’y tenir ;
  • Toute appréciation des faits de la cause au principal relève de la compétence du juge national[5] ;
  • Selon une jurisprudence constante, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, du traité CE, la prise en considération des effets concrets d’un accord est superflue, dès qu’il apparaît que celui-ci a pour objet de restreindre, d’empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence[6] ;
  • En conséquence, il y a lieu de considérer qu’un accord susceptible d’affecter le commerce entre Etats membres et ayant un objet anticoncurrentiel constitue, par sa nature, et indépendamment de tout effet concret de celui-ci, une restriction sensible du jeu de la concurrence.

La CJUE déduit de ces constations que les articles 81, paragraphe 1, du traité CE, et 3 du règlement n°1/2003 ne s’opposent pas à ce qu’une autorité nationale de concurrence applique ledit article 81, paragraphe 1, à un accord entre entreprises susceptible d’affecter le commerce entre Etats membres, mais qui n’atteint pas les seuils fixés par la Commission dans sa communication « de minimis », pourvu que cet accord constitue une restriction sensible de la concurrence au sens de cette disposition.

Cette décision instaure une certaine insécurité juridique pour les entreprises qui ne peuvent plus considérer qu’elles ne seront pas sanctionnées par les autorités de concurrence et les juridictions nationales dès lors que leurs parts de marché seront en dessous des seuils fixés par la Commission et que leur accord ne contiendra pas l’une des restrictions de concurrence caractérisées limitativement énumérées. 

 


[1] Cf. pour exemples, arrêts du 9 juillet 1969, Völk, 5/69, Rec. P. 295, point 7, et du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7/95 P, Rec. P. I-3111, point 77

[2] Journal officiel C 368 du 22.12.2001

[3] Constituent des restrictions caractérisées de concurrence au sens de l’article L. 464-6-2 du Code de commerce :

« a) Les restrictions qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulées avec d’autres facteurs sur lesquels les parties peuvent influer ont pour objet la fixation de prix de vente, la limitation de la production ou des ventes, la répartition de marchés ou des clients ;

b) Les restrictions aux ventes non sollicitées et réalisées par un distributeur en dehors de son territoire contractuel au profit d’utilisateurs finaux ;

c) Les restrictions aux ventes par les membres d’un réseau de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché, indépendamment de la possibilité d’interdire à un membre du système de distribution d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé ;

d) Les restrictions apportées aux livraisons croisées entre distributeurs à l’intérieur d’un système de distribution sélective, y compris entre les distributeurs opérant à des stades différents du commerce. »

[4] Arrêt du 13 décembre 2012, n°C-226/11, Expédia / Autorité de la concurrence e.a.

[5] Cf. arrêt du 8 septembre 2010, Winner Wetten, C-409/06, Rec. p. I-8015, point 49 et jurisprudence citée

[6] Cf. arrêts du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429, ainsi que du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C-272/09 P, non encore publié au Recueil, point 65, et KME Germany e.a./Commission, C-389/10 P, non encore publié au Recueil, point 75