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Publié le 31 mars 2016 par Laure Marolleau

Caractère impératif des délais de paiement dans le cadre d’un contrat international

Est-il possible d’écarter l’application des dispositions de l’article L. 441-6 du code de commerce plafonnant les délais de paiement à un contrat international de vente de marchandises conclu entre un fournisseur français et un client étranger (établi dans un Etat membre de l’Union européenne) lorsque ce contrat est soumis à la compétence du juge et de la loi de l’Etat étranger dans lequel le client est établi ? Dans un tel cas, est-il possible pour l’Administration française de poursuivre les parties au contrat de vente devant le juge français sur le fondement des dispositions du code de commerce ?

Telles étaient les questions posées à la Commission d’examen des pratiques commerciales[1] par un avocat dans un courrier qu’il lui a adressé le 10 décembre 2013, et auxquelles elle a apporté des éléments de réponse dans un avis n°16-1 en date du 14 janvier 2016[2].

L’avis de la CEPC est l’occasion de revenir sur la délicate question de l’application des règles françaises en matière de délais de paiement dans le cadre d’une relation entre un vendeur français et un acheteur étranger : est-il possible d’y échapper en désignant la loi du pays de l’acheteur ?

La question des délais de paiement est une préoccupation majeure de l’Union européenne et de la France car elle pèse sur la compétitivité des entreprises[3]. Outre les distorsions de concurrence et abus de domination qu’ils peuvent engendrer, le recours systématique aux délais de paiement s’analyse en un « crédit-fournisseur », qui constitue aujourd’hui la première source de financement à court terme des entreprises, spécialement au profit des entreprises de distribution.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite loi Macron), le droit français prévoit que le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut pas dépasser 60 jours à compter de la date d’émission de la facture. Par dérogation, il est possible de convenir un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d’émission de la facture, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu’il ne constitue pas un abus manifeste à l’égard du créancier (Article L. 441-6, I, 9° du code de commerce)[4].

En cas de facture périodique ou récapitulative, le délai est obligatoirement de 45 jours à compter de la date d’émission de la facture.

Les professionnels d’un secteur peuvent, dans certains cas, convenir de réduire ou d’augmenter le plafond légal et modifier le mode de calcul du délai.

Le non-respect des délais de paiement fixés par la loi est sanctionné par « une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale »[5]. Cette amende administrative est prononcée dans les conditions prévues à l’article L. 465-2 du code de commerce. Son montant est doublé en cas de réitération dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.

Jusqu’à la loi n°2014-344 du 17 mars 2014, le fait de « soumettre un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas le plafond fixé au neuvième alinéa de l’article L.441-6 ou qui sont manifestement abusives » pouvait engager la responsabilité de son auteur et être sanctionné par une amende civile pouvant aller jusqu’à deux millions d’euros (articles L. 442-6, I, 7° et III du code de commerce).

Le non-respect, qui n’est donc plus sanctionné « que » par une amende administrative, est recherché et sanctionné par les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après « DGCCRF »), une direction du Ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique, qui ont le pouvoir de visiter les locaux professionnels et d’obtenir la communication de documents.

Le Ministre de l’Economie a annoncé que la réduction des délais de paiement était l’un des axes prioritaires de sa politique d’amélioration de la compétitivité, au moyen notamment d’un renforcement des contrôles et des sanctions[6]. Il a rendu publics, sur le site internet de la DGCCRF, les noms des cinq entreprises qui se sont vu infliger les plus importantes amendes pour leur politique de paiements tardifs répétés dans le cadre des contrôles réalisés en 2015[7]. La DGCCRF a d’ailleurs annoncé avoir, en 2015, contrôlé 2 249 entreprises, lancé 186 procédures, et sanctionné 110 entreprises pour un montant total de 3,5 M€ d’amendes.

Dans ce contexte, la question de l’applicabilité des délais de paiement et le cas échéant la sanction de leur non-respect dans un contexte international est essentielle mais délicate. D’où les questions posées par un avocat à la CEPC.

La CEPC se heurte cependant à une première difficulté, et non des moindres : celle d’analyser en janvier 2015 des questions qui lui sont posées en décembre 2013. Entre temps, le régime des sanctions applicables au non-respect des délais de paiement a été profondément modifié.

Le non-respect de l’article précité L. 441-6, I, 9° du code de commerce n’étant plus sanctionné que par une « amende administrative » en vertu de l’article L. 441-6, VI du même code, ne sommes-nous pas en « matière administrative » [8], laquelle est expressément exclue du champ d’application des règles européennes de conflits de juridiction[9] et de loi[10] ?

La CEPC n’exclut pas que la sanction en cas de non-respect des délais de paiement échappe à ces règles, à l’instar des sanctions prononcées par exemple par l’Autorité de la concurrence.

Poursuivant son raisonnement, – s’interroger sur les conditions dans lesquelles l’amende administrative peut être mise en œuvre ne suppose-t-il pas au préalable de s’interroger sur les conditions dans lesquelles un acheteur étranger peut être tenu au respect des délais de paiement ? – , la CEPC se heurte à une seconde difficulté : celle d’appliquer des règles européennes de conflits de juridiction et de loi opérant une distinction entre la matière contractuelle et la matière délictuelle, alors précisément que cette qualification n’est pas claire pour les délais de paiement.

Par un raisonnement, lequel se fait en plusieurs temps, avec pour point de départ cette question de la matière contractuelle ou non-contractuelle, et dans le détail duquel il serait trop long de rentrer, la CEPC conclut :

« En l’état du droit positif, on peut penser que les sanctions administratives qui viennent assortir le dépassement des délais impératifs de paiement pourront être mises en œuvre dans les rapports entre un vendeur français et un acheteur étranger malgré la soumission du contrat à la loi interne d’un Etat étranger, notamment lorsque l’ensemble de la relation commerciale se déroule en France.

En revanche, en présence d’une clause attributive de juridiction désignant une juridiction étrangère et d’une clause d’electio juris désignant une loi étrangère, le juge étranger saisi d’une action de nature civile garde les mains très libres pour refuser de tirer les conséquences civiles de la violation du droit français.

Il ne pourrait en aller différemment que si – en dépit de l’établissement à l’étranger de l’acheteur – l’ensemble de la relation commerciale se déroulait en France. »

Pour résumer, en matière contractuelle, et malgré une clause désignant une loi étrangère, les dispositions françaises en matière de délais de paiement s’appliqueraient :

  • en tant que « dispositions auxquelles la loi de cet autre pays [pays où tous les autres éléments de la situation sont localisés, autre que celui désigné par les parties] ne permet pas de déroger par accord» (article 3.3 du Règlement Rome I), ou
  • en tant que « loi de police [disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement] du juge saisi» (article 9 du Règlement Rome I).

En matière délictuelle, les règles européennes prévoient également que :

  • « lorsque tous les éléments de la situation étaient, au moment de la survenance du fait générateur du dommage, localisés dans un pays autre que celui dont la loi a été choisie, le choix d’une loi par les parties ne peut porter atteinte à l’application des dispositions auxquelles la loi de cet autre pays ne permet pas de déroger par accord » (article 14.2 du Règlement Rome II), et
  • « Les dispositions du présent règlement ne portent pas atteinte à l’application des dispositions de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable à l’obligation non contractuelle» (article 16 du Règlement Rome II).

Dans le premier cas de figure, l’ensemble de la relation commerciale se déroulant en France, les dispositions françaises en matière de délais de paiement s’appliqueraient même en présence d’une clause désignant une loi étrangère. La CPEC avait déjà affirmé par le passé qu’ « il résulte de ces textes [article 3.3 du Règlement Rome I et article 14.2 du Règlement Rome II] que, lorsque l’ensemble de la relation contractuelle est exécuté en France, le choix d’un droit étranger permet simplement d’écarter les dispositions supplétives du droit français, mais ne peut pas porter atteinte aux règles de ce droit qui sont d’ordre public même simplement interne »[11].

Dans le second cas de figure, les règles françaises en matière de délais de paiement seraient considérées d’ordre public international par le juge français s’il est saisi. Aucun juge français ne s’est pour l’instant positionné sur cette question.

En réalité, l’avis de la CEPC ne nous semble pas apporter d’éclairages suffisants sur cette question de l’applicabilité des délais de paiement dans un cadre international. L’existence d’arguments militant pour une application extensive de ces dispositions, même en présence d’un contrat désignant une loi étrangère, est cependant clairement affichée.

 

[1] La commission a pour mission de donner des avis ou de formuler des recommandations sur les questions, les documents commerciaux ou publicitaires, y compris les factures et contrats couverts par un secret industriel et commercial, et les pratiques concernant les relations commerciales entre producteurs, fournisseurs et revendeurs, qui lui sont soumis (Cf. article L. 440-1 du code de commerce).

[2] http://www.economie.gouv.fr/cepc/avis-ndeg-16-1-relatif-a-demande-davis-dun-avocat-sur-caractere-imperatif-des-delais-paiement

[3] La réglementation française constitue la transposition de la Directive 2011/7/UE du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales.

[4] Ainsi, une entreprise française se voit contrainte d’imposer à son cocontractant un délai de paiement plafonné par la loi, 45 jours fin de mois à compter de la date d’émission de la facture ou 60 jours à compter de la date d’émission de la facture, là où la directive européenne envisageait que le délai de paiement fixé dans le contrat n’excède pas soixante jours civils « à moins qu’il ne soit expressément stipulé autrement par contrat et pourvu que cela ne constitue pas un abus manifeste à l’égard du créancier ».

[5] Auparavant (précisément jusqu’au 19 mars 2014), le fait de soumettre son partenaire à des délais qui ne respectaient pas l’article L. 441-6, I, 9° engageait la responsabilité de son auteur et l’exposait au prononcé d’une amende civile (Ancien article L. 442-6, I, 7° du code de commerce).

[6] http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgccrf/presse/DP_delais_paiement23112015.pdf

[7] http://www.economie.gouv.fr/dgccrf/sanctions-delais-paiement

[8] Article 1 des Règlements Bruxelles I bis, Rome I et II.

[9] Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après « Règlement Bruxelles I bis »).

[10] En matière contractuelle : Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (ci-après « Règlement Rome I ») ; en matière non-contractuelle : Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (ci-après « Règlement Rome II »).

[11] Avis de la CEPC n° 09-06 venant compléter le dispositif de Questions-Réponses relatif à la mise en œuvre de la loi de modernisation de l’économie en date du 1er janvier 2009 ; Rapport annuel d’activité de la CEPC 2009/2010, pp. 57-59.